DES VARIANTS GÉNÉTIQUES IMPLIQUÉS DANS L’AUTISME DÉTECTÉS DANS LA POPULATION GÉNÉRALE
Des chercheurs de l’Institut Pasteur, du CNRS, de l’Institut universitaire de France, d’Université Paris Cité et de l’AP-HP ont comparé des données génétiques de 13 000 personnes avec autisme à celles de près de 200 000 individus issus de la population générale. Si 4 % des individus avec autisme portent des variations génétiques fortes impliquées dans l’autisme, près de 1 % des individus issus de la population générale les portent également et présentent des performances cognitives moindres conjuguées à un niveau socioéconomique plus faible. Les résultats de cette étude sont publiés dans la revue Nature Medicine le 26 juin 2023.
Au sein des troubles du neurodéveloppement, l’autisme se caractérise par des difficultés de communication sociale et par des comportements, activités ou intérêts restreints et répétitifs. La forte contribution génétique à l’apparition de ce trouble est aujourd’hui établie. C’est au laboratoire de Génétique humaine et fonctions cognitives, dirigé par le Pr Thomas Bourgeron, à l’Institut Pasteur, qu’ont été découverts, en 2003, les premiers gènes associés à l’autisme. Depuis, des variations génétiques rares dans plus de 200 gènes ont été identifiées, illustrant la complexité des mécanismes en jeu dans la survenue de l’autisme.
« C’est pour tenter de mieux cerner l’architecture génétique de l’autisme – la combinaison de gènes et de variants qui explique son expression – et ce qui module l’intensité de ses manifestations que nous avons entrepris ce travail de fourmi, retrace Thomas Rolland, chercheur CNRS dans l’unité Génétique humaine et fonctions cognitives1 à l’Institut Pasteur, et premier auteur de l’étude. S’agissant de variations génétiques rares, dont chacune ne touche que quelques pourcentages des personnes avec autisme, il nous fallait d’abord réunir les données d’un nombre conséquent d’individus. L’idée originale, ensuite, a été de rechercher la présence ou non de ces variants en population générale – c’est-à-dire chez des personnes sans diagnostic d’autisme – pour voir s’ils avaient un effet et le cas échéant lequel. »
Pour cela, les chercheuses et chercheurs ont analysé les données génétiques de 13 000 personnes diagnostiquées avec autisme, données issues de plusieurs cohortes de différents partenaires à l’international2. Ils ont comparé ces données à celles d’une population générale, sans diagnostic d’autisme, constituée de 180 000 individus3. Thomas Rolland précise : « Nous nous sommes intéressés aux variants rares dans une liste de 185 gènes, bien connus pour être fortement associés à l’autisme. Et en effet, nous avons retrouvé ces variants chez 4 % des personnes avec autisme. De manière plus surprenante, certains variants sont présents également chez 1 % des individus non-diagnostiqués. Cela laisse penser que la conjonction d’autres facteurs, génétiques et environnementaux, est nécessaire pour aboutir à la manifestation d’un trouble autistique. »
Pour tenter de comprendre l’effet de ces variants, l’équipe a croisé ces informations avec les données médicales, cognitives et socioéconomiques attachées aux individus non-diagnostiqués. Et le résultat est inédit : « Les variants semblent affecter les performances cognitives des personnes sans diagnostic d’autisme qui en sont porteuses, ainsi que leur niveau d’éducation avec des niveaux de diplômes plus bas, leur niveau de revenus avec des salaires nets plus bas, et leurs conditions matérielles de vie. » explique Richard Delorme, professeur à Université Paris Cité, chef du service de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent à l’hôpital Robert-Debré AP-HP et chercheur dans l’unité Génétique humaine et fonctions cognitives à l’Institut Pasteur.
« L’architecture de l’autisme est très complexe, nos observations le montrent encore ! Il y a plusieurs « façons génétiques » d’aboutir à sa survenue. La première est d’être porteur d’une variation génétique rare à l’effet fort, suffisante apparemment à elle seule pour donner un autisme. La seconde repose sur la concomitance chez un individu d’un ensemble de nombreuses variations. Prises indépendamment, elles n’auraient pas d’effet notable ou seulement un effet léger, mais combinées, elles favoriseraient l’apparition de traits autistiques chez la personne et dans certains cas un diagnostic », explique Thomas Bourgeron, Professeur à Université Paris Cité, responsable de l’unité Génétique humaine et fonctions cognitives à l’Institut Pasteur et dernier auteur de l’étude. Par ailleurs, dans les populations de femme avec autisme, les variants génétiques rares associés à un diagnostic d’autisme sont davantage présents. Les données montrent cependant que les femmes et les hommes de la population générale ont la même probabilité de porter ces variants. « Les résultats de notre étude suggèrent que les hommes seraient plus sensibles à la présence de variants à effet plus léger pour l’autisme par rapport aux femmes. »
Pr Thomas Bourgeron conclut : « Ce que nous observons avec ces variants n’est que la partie émergée de l’iceberg, puisqu’ils ne rendent compte que de quelques pourcents des cas identifiés d’autisme. L’architecture de l’autisme est très complexe et l’environnement, au sens large, joue un rôle crucial dans l’intensité des symptômes et la qualité de vie de la personne. C’est pourquoi nous devons avoir une approche globale des personnes avec autisme, qui prenne en compte cet environnement. Ce n’est qu’à cette condition que nous identifierons les facteurs qui modulent la survenue et l’intensité des difficultés que rencontrent les personnes autistes et que nous pourrons définir des programmes d’accompagnement efficaces et personnalisés. ». Un Institut Hospitalo-Universitaire, inovAND, a été récemment créé à l’hôpital Robert-Debré AP-HP pour répondre à ces questions ainsi qu’une étude internationale R2D2-MH financée par la commission européenne, fondée sur le principe de la recherche participative et coordonnée par le Pr Thomas Bourgeron. Ces initiatives ont pour objectifs de déterminer l’ensemble des facteurs et des accompagnements qui peuvent conduire à une meilleure trajectoire pour les personnes ayant un trouble du neurodéveloppement.
Ce travail a été réalisé en collaboration étroite avec des scientifiques et des médecins-chercheurs des organismes cités plus haut et des Universités de Montréal (Canada), Aarhus (Danemark), Columbia (États-Unis), Cardiff et Cambridge (Royaume-Uni), et de la Simons Foundation (États-Unis).