Ou en est la recherche sur l’autisme ?

L’autisme a été déclaré “grande cause nationale” en 2012 mais cette maladie déroutante, dont les origines ne sont pas clairement établies, reste mal connue du grand public. En fait, derrière le terme générique d’autisme, on trouve une grande diversité de situations et d’affections regroupées à présent sous l’appellation de “troubles du spectre autistique” (TSA).

Ces troubles du spectre autistique ont en commun de se traduire par des dysfonctionnements dans le fonctionnement des neurones situés dans le cortex du cerveau humain, ce qui se traduit par une altération plus ou moins importante dans la transmission et le traitement des informations par le cerveau. L’autisme est d’une complexité redoutable car ces dysfonctionnements semblent impliquer simultanément de nombreux niveaux d’organisation dans le cerveau, qu’il s’agisse du cortex, de l’organisation des dendrites (arborescences des neurones), des synapses (connexion entre neurones) ou encore de modifications plus importantes de certaines structures cérébrales. Il est à présent admis par la majorité de la communauté scientifique que ces altérations qui s’expriment par des troubles du comportement et par une perte de capacité à communiquer avec les autres ont de multiples causes, avec une composante génétique dont l’importance varie probablement selon les sujets et de nombreux facteurs de risques intriqués et encore mal identifiés.

On estime aujourd’hui que 600 000 personnes en France sont touchées par ce handicap, dont 150 000 enfants. On estime que plus de la moitié des adultes soignés dans des hôpitaux psychiatriques seraient en fait atteints d’autisme et ne bénéficient pas d’une prise en charge adéquate dans des structures spécifiquement adaptées à leurs troubles autistiques. On comprend mieux le défi que représente l’autisme en matière de santé publique quand on sait que l’Inserm estime qu’un enfant sur 150 naît autiste, soit 8000 enfants par an !

S’agissant des structures d’accueil et de prise en charge et de la détection précoce de cette maladie complexe et multifactorielle, la France est également très en retard par rapport à d’autres pays comme les USA, le Canada ou les pays scandinaves qui on mis en place une détection de l’autisme dès l’âge de 2 ans et demi chez les enfants alors qu’en France le diagnostic de l’autisme n’est établi que vers 5 ou 6 ans.

Ce diagnostic tardif complique la prise en charge précoce des malades, pourtant essentielle mais cette situation va peut-être changer. En mai 2011, le professeur Karen Pierce (Centre d’excellence sur l’autisme, San Diego) a en effet présenté les résultats de ses recherches qui montrent qu’un test simple, rapide et efficace de dépistage de l’autisme est envisageable.

Ce test a été effectué sur 10 000 nourrissons d’environ un an. Il repose sur un questionnaire simple rempli par les parents et portant sur l’aptitude à communiquer des nouveaux nés. Sur ces 10.000 enfants, 200 présentaient des troubles de la communication et parmi ceux-ci 32 souffraient d’une forme d’autisme. Grâce à ce test, les enfants autistes repérés ont pu bénéficier dès l’âge d’un an et demi d’une thérapie (Voir Article).

Une autre étude portant sur 92 nourrissons de six mois à deux ans, qui ont la particularité d’avoir tous une sœur ou un frère aîné atteint d’autisme, a été réalisée par un réseau universitaire nord-américain et publiée récemment dans l’American Journal of Psychiatry (AJP). Elle montre qu’il est possible de détecter, à partir de l’âge de six mois, des différences importantes dans le développement cérébral de nourrissons qui présentent un risque élevé d’autisme. Cette étude montre que le développement cérébral anormal peut être détecté très précocement, avant l’apparition de symptômes d’autisme.

Comme le souligne le Professeur Evans (Hôpital neurologique de Montréal), “nous avons pour la première fois un résultat qui rend possible la détermination de biomarqueurs de risque de l’autisme avant l’apparition de symptômes et avant notre capacité à diagnostiquer l’autisme”. Selon Evans, c’est la structure de la substance blanche (des faisceaux de fibres reliant différentes aires cérébrales) qui semble déterminer le risque d’apparition de l’autisme chez les nourrissons observés dans le cadre de cette étude (Voir articles AJP et Université Mc Gill).

On voit donc que la compréhension des bases neurobiologiques de l’autisme a fait des progrès remarquables au cours de ces dernières années, comme le confirment les différentes annonces faites à l’occasion de l’IMFAR, congrès international de la recherche sur l’autisme qui s’est déroulé début juin à Toronto. Au cours de ces rencontres, la firme IntegraGen a annoncé l’identification de 57 nouveaux marqueurs génétiques (SNP – Single Nucleotide Polymorphisms) qui permettent d’évaluer avec un haut niveau de probabilité le risque qu’un frère ou une sœur d’enfant atteint d’un trouble du spectre autistique (TSA) soit également touché par cette affection.

Ces résultats confirment et prolongent la publication en février 2011 d’une étude qui montrait le rôle de 8 SNPs liés à l’autisme (Autism risk assessment in siblings of affected children using sex-specific genetic scores) publiée dans la revue Molecular Autism (Voir Article). Comme l’a souligné l’auteur principal de cette étude, le Docteur François Liebaert, « en étudiant toute un série de marqueurs spécifiques au sexe de l’enfant, garçon ou fille, nous avons pu identifier les frères et sœurs d’enfants autistes présentant un risque sensiblement plus grand d’être eux-mêmes touchés par une forme d’autisme »

Fait remarquable, cette vaste étude a porté sur plus de 1100 familles comportant au moins deux enfants atteints d’une forme d’autisme. Les chercheurs ont pu démontrer le rôle combiné de certains variants génétiques communs (SNPs), associés à l’autisme. Bien qu’aucun de ces variants ne puissent, à lui seul, provoquer l’apparition de l’autisme, cette étude a confirmé que l’association de ces variants permettait bien d’évaluer de manière fine la probabilité de survenue d’un trouble autistique chez ces enfants.

Une autre percée a été récemment réalisée par une étude britannique. Elle s’appuie sur l’imagerie cérébrale par résonance magnétique et confirme le lien de causalité entre certaines modifications neuro-anatomiques et l’apparition de troubles du spectre autistique.

Cette étude très intéressante montre que les autistes présentent bien certaines différences neuro-anatomiques au niveau du cerveau. Elle montre en effet que les autistes semblent présenter une augmentation significative du volume de matière grise dans le lobe temporal mais également dans le cortex préfrontal. A la lumière de cette étude, il semblerait donc que l’autisme soit lié, au moins en partie, à la présence de certains dysfonctionnements particuliers dans la connectivité du cerveau.

En matière de traitements de l’autisme, les choses évoluent également : en avril dernier, une étude américaine a montré qu’une molécule baptisée GRN-529 et ciblant spécifiquement le glutamate, le principal neurotransmetteur, permet de réduire sensiblement certains troubles de l’autisme chez la souris. Le GRN-529 est actuellement en cours d’expérimentation clinique sur des malades souffrant du syndrome de l’X fragile, une forme de retard mental héréditaire qui présente certains points communs avec l’autisme.

Il faut enfin évoquer l’étude réalisée entre 2003 et 2009 par l’Université de Californie sur 700 familles ayant des enfants autistes. Cette étude a révélé que les femmes ayant un déficit de vitamine B9 (acide folique) pendant leur grossesse ont deux fois plus de risque d’avoir des enfants qui développeront une forme d’autisme, ce risque étant multiplié par 7 dans le cas d’un facteur génétique associé.

On savait déjà qu’en début de grossesse, la prise d’acide folique permettait de prévenir les malformations du tube neural et de réduire le risque de fausse-couche. Cette nouvelle étude a montré que les femmes qui prenaient 0,6 gramme d’acide folique par jour avaient sensiblement moins de risques d’avoir un enfant autiste.

La compréhension, le traitement et la prise en charge de l’autisme qui implique de manière inextricable et circulaire de multiples facteurs biologiques, familiaux, sociaux et environnementaux, représentent un enjeu humain, social et médical majeur et passent par une collaboration accrue entre spécialistes des différentes disciplines impliquées : neurobiologistes, généticiens, psychiatres et psychanalystes notamment. Heureusement, cette approche pluridisciplinaire gagne du terrain et doit être encouragée à tous les niveaux de la recherche, de manière à dépasser les querelles stériles qui peuvent opposer certains tenants des différentes approches conceptuelles et scientifiques de cette affection multiforme et complexe.

Face au désarroi et à la souffrance des familles touchées par cette affection, il faut souhaiter que l’ensemble des acteurs sociaux, scientifiques et médicaux concernés parviennent, dans le respect de leurs spécificités et de leurs différences, à s’unir et à collaborer plus efficacement pour pouvoir proposer des perspectives thérapeutiques nouvelles à ces êtres prisonniers de leur “citadelle intérieure”.

René TRÉGOUËT

Sénateur Honoraire

Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat